Claire et Sébastien ont une ferme à Sepmes (37) où ils s’occupent de chèvres dont ils transforment le lait en yaourts et fromages. Ils cultivent également des plantes, dont la rose, et accueillent régulièrement des touristes.
Mi juillet, Stéphane, notre producteur d’œufs, sa famille et moi sommes allés nous immerger dans leur quotidien. Avec trois éleveurs et une commerçante, vous imaginez bien que nous avons beaucoup parlé gestion d’entreprise et alimentation, mais pas que ! Deux jours d’une intense richesse dont je les remercie de tout mon cœur.
La ferme
Il y a 18 ans, Sébastien souhaite se reconvertir et entame une formation dans une école agricole. Une fois le diplôme obtenu, il lui faudra deux ans pour trouver une ferme. En France, il est très difficile d’acheter des terres si sa famille n’est pas issue du monde agricole. La tendance est plutôt au rachat des petites structures par des gros.
La ferme qu’ils occupent aujourd’hui appartenait à trois frères, nés ici mais qui n’avaient pas repris l’exploitation. Après plusieurs mois de négociation, ils acceptent de leur céder. C’est alors que la recherche de financements commence, et c’est grâce au soutien de La Nef et de l’association Terre de Liens que le projet se concrétise. Alors qu’ils achètent le bâti, Terre de Liens achète les terres et leur loue. C’était alors la 25ieme ferme en France à être soutenue ainsi. Lorsqu’ils partiront à la retraite, les terres seront relouées à des agriculteurs Bio.
Toujours dans l’objectif d’avoir un soutien financier, ils démarrent avec les AMAPS. En 2009, parrains et marraines financent ainsi l’achat des 80 premières chèvres. Le premier fromage est fabriqué un an plus tard.
Sébastien et Claire utilise zéro produit chimique sur leur ferme qui est labellisé Bio. Pour aller plus loin, ils sont également certifiés Nature et Progrès, label qui demande par exemple de respecter le cycle naturel des chèvres.
L’histoire continue avec le lancement de l’activité autour des plantes à parfum, aromatiques et médicinales en 2014. La passion des plantes de Claire trouve enfin sa place dans le projet commun de revenir au contact de la nature.
Les chèvres
Revenons à nos chèvres…
Savez-vous que chacune d’elle pèse entre 30 à 40Kg, contre 60 à 80Kg pour les boucs ? Bon ça, c’est quand elles ne sont pas enceintes bien sûr !
A la Ferme du Cabri au lait, la gestation est naturelle et suit les saisons : les chaleurs commencent quand les jours diminuent, c’est à dire en août. En septembre, les boucs rejoignent les femelles. On considère qu’il faut 1 bouc pour 30 chèvres. Il y a donc 3 boucs ici. La période de gestation dure 5 mois et une chèvre aura un ou deux petits. L’an dernier, il y a eu 125 naissances : des femelles, mais aussi des mâles ! On en reparlera…
Pour leur permettre de garder des forces, la traite des chèvres est arrêtée deux mois avant la mise bas. La majorité des petits naissent en février et la traite reprend alors, une fois par jour. Certains élevages traient les chèvres deux fois par jour, ce qui les épuisent. Ici, le lait est partagé : une partie est prélevée pour la transformation, et l’autre est laissée aux petits. Ces derniers dorment séparés de leur mère et reviennent avec elles après la traite pour toute la journée. Cela permet aux mères de se reposer et de refaire du lait.
Après deux mois, le printemps arrive et les petits mangent herbe et foin comme les grands !
Sébastien et Claire élèvent majoritairement des Alpines chamoisées, brunes à tête noire, et quelques Saanens, blanches. D’autres sont croisées British, ce qui donne un joli mélange de couleurs. Comme vous pouvez l’imaginer, ce n’est pas la race locale. Elle a cependant deux avantages : la production de lait est plus grande et c’est du lait dit fromageable.
Pour la première fois cette année, ils ont gardés tous les bébés, pour différentes raisons : renouvellement du cheptel notamment des boucs et début de l’élevage pour la viande. Et oui, ces mâles qui ne donnent pas de lait étaient jusque là revendus une poignée d’euros à des élevages industriels. Cela ne leur convenait plus. A présent, les mâles restent donc à la ferme et seront revendus pour leur viande aux AMAPS.
Lors du déjeuner, Sébastien m’a fait prendre conscience que manger du fromage de chèvre incluait de devoir gérer les mâles et leur fin de vie. Pour lui, les garder à la ferme et les proposer pour leur viande aux particuliers est la solution qui respecte le plus l’animal. Une réflexion intéressante par rapport au végétarisme.
Les femelles quand à elles sont gardées 8 ans en moyenne, en fonction de leur état de santé. Les plus veilles ont 10 ans. On peut le voir grâce à leur numéro qui commence par leur année de naissance ! Il faut savoir qu’à l’état naturel, la durée de vie est de 12 à 13 ans maximum, et dans l’industrie c’est 4 ans. La traite deux fois par jour a un impact non négligeable.
La traite des chèvres
De février à septembre, Sébastien commence sa journée à 8h00 par la traite de ses 80 chèvres. Il faut compter un peu plus d’une heure, en fonction de la bonne volonté des animaux, de la fatigue et des perturbations de ses visiteurs ! La vitesse dépend plus de la taille du sphincter que le volume du lait récolté.
Avant d’appeler les chèvres, Sébastien prépare la salle de traite, notamment en déposant une portion de « friandise » dans chaque poste : tourteau de tournesol (c’est la fibre qui reste une fois l’huile pressée), orge, petit épeautre (source de glucides) et féverole (source de protéine).
Ensuite, il ouvre la porte et les chèvres arrivent en courant ! Si cela nous est apparu naturel et un peu magique, en réalité, un mois d’apprentissage est nécessaire pour arriver à ce résultat. D’abord, les places de gauche se remplissent. Sébastien met en route la traite puis va ouvrir l’accès aux places de droite. Il retire alors les trayeuses de gauche pour aller les positionner à droite, finalise les soins et laissent partir les premières arrivées. La place se libère pour les suivantes. Et ce joli cycle se fait encore 3 fois !
Les chèvres sont des animaux très propres. Il n’est donc pas nécessaire de leur laver les mamelles avant de positionner la trayeuse. En revanche, Sébastien réalise un nettoyage après la traite avec un gel à l’Aloe-Vera afin d’éviter que des bactéries remontent dans le sphincter. J’ai été impressionnée de son œil expert : certes, il repère facilement une blessure. Mais il fait également attention à l’orientation des oreilles (vers le haut tout va bien, à l’horizontale ça va, vers le bas il y a un problème), à un éternuement ou un comportement anormal. Pour les soins, il a intensifié la naturopathie depuis quelques années. Fun Fack, depuis il n’a plus de crevasses sur ses mains !

Une fois toutes les chèvres retournées au pâturage, il faut compter environ 30 minutes pour nettoyer les installations : les trayeuses sont raccordées au circuit d’eau et s’enchaînent trois cycles en circuit fermé : un jour produit à pH acide et eau chaude, l’autre jour produit à pH basique et eau chaude. Pendant ce temps, un coup de balai et de jet d’eau au sol permettent de laisser la salle propre.
Les chèvres sont également des animaux très calmes. Pendant plus d’une heure, ce fût un plaisir d’assister à la traite et d’échanger avec Sébastien. Stéphane était beaucoup plus à l’aise que moi pour aller au contact des animaux, prendre les mamelles dans les mains en évitant les coups de pieds. C’était coquasse de me voir ! Quoi qu’il en soit, je ne me suis pas fait prier pour y retourner le lendemain. Cependant, loin de mon enthousiasme naïf, j’ai senti la fatigue chez Sébastien qui fait cela depuis des années, sans pouvoir se permettre de louper une séance.
Et après la traite… les soins !
Retour au bercail
Loin de l’infirmière, des médicaments et des bandages, ou bien d’un agréable massage, le terme soin désigne ici le nourrissage des animaux dans le hangar appelé la chèvrerie.
Le hangar est un grand bâtiment ouvert sur le pâturage avec de nombreuses fenêtres, ce qui le rend lumineux. Des barrières en bois permettent de créer l’espace de travail central où on retrouve les différentes bottes de fourrage qui viennent compléter l’herbe extérieure : le trèfle et la luzerne apportent les protéines tandis que les glucides sont donnés par les graminées.
Le fourrage est complété par des graines données aux chèvres. En temps normal, ces graines
proviennent des champs voisins cultivés par Sébastien. Cependant, depuis deux ans, les conditions météorologiques ont mis à mal les cultures et il doit l’acheter à l’extérieur. Cela représente un coût important, d’autant plus qu’il s’ajoute à celui des graines qu’il a tenté de faire pousser et qu’il a perdu. Cette année, la récolte de sarrasin semble bien partie !
Dans un premier temps, avec une fourche, on envoie le foin qui n’a pas été mangé du côté des chèvres. C’est surtout les tiges qui restent d’ailleurs, elles se sont régalées des feuilles. Ensuite, on rabat le foin qui n’est pas à portée de bouche vers les barrières avec un rabot, une sorte de large pelle plate. Enfin, on reprend la fourche pour déposer du fourrage par dessus et au niveau des mangeoires intérieures.
Pour finir, on recommence dans la petite étable où se trouvent les boucs et les chevreaux.
Ce travail extrêmement physique occupe le reste de la matinée. On s’est tous essayé à la tâche, avec une dextérité à la hauteur de nos vies. Objectivement… j’ai des progrès à faire ! Sébastien, quant à lui, m’a impressionnée par l’attention particulière qu’il porte à ses mouvements, et cela tout au long de sa journée. J’ai vraiment apprécié échanger avec lui sur ce sujet car notre corps est un de nos outils de travail dont il faut prendre soin. J’en ai conscience et je progresse doucement sur ce sujet.
La fromagerie
Pendant ce temps là, Claire s’occupe de transformer le lait. A côté de la salle de traite se trouve la salle de transformation du lait. Celle-ci est maintenu à 20-23° toute l’année. Le lait y arrive à 38°C, température propice au développement des « mauvaises bactéries ».
Fabrication des bûches et cabris ronds Bio.
Pour les bûches et cabris ronds (du fromage lactique), le lait est utilisé directement après la traite et rejoint la salle de transformation via un système calorifique inversé, avec de l’eau froide qui passe autour de la gaine de lait (eau chaude en hiver). Le lait est refroidi à 22°C afin de faire du fromage au lait cru, à l’aide de « bonnes bactéries ».
Leur fabrication prend plusieurs jours :
- Jour 1 : première étape, on ajoute du lactosérum, c’est à dire le petit lait, ou jus du fromage, qui est récupéré lors de la fabrication des fromages. C’est là que se trouvent les ferments lactiques, acides, qui permettent de tuer les « mauvaises bactéries ». Et en même temps, on ajoute des bonnes bactéries, les ferments lactiques. Ensuite, on ajoute de la présure qui permet de solidifier le lait.
 La présure est une enzyme naturelle contenue dans le premier des quatre estomacs de la chèvre et qui permet d’accélérer le caillage. Elle est achetée car elle est prélevée directement dans l’estomac au niveau de l’abattoir.
- Jour 2 : la mise en moule. Le lendemain, le lait est caillé, c’est de la faisselle. Avec une louche, on verse le fromage dans les moules tronconiques après avoir enlevé le jus du fromage qui était au dessus (pour refaire du fromage un autre jour). Les moules étant percés, les fromages vont pouvoir s’égoutter pendant un jour.
- Jour 3 : on démoule, en prenant soin de ne pas casser le fromage. Mis à nu, il est plus vulnérable aux bactéries. Pour les protéger, on roule les bûches dans un mélange de sel et de cendre alimentaire (ici du pin des Landes) avant de les poser sur une feuille plastique lavable micro-perforé. Il passera sagement la nuit dans la salle de transformation. C’est à cette étape qu’est contrôlé le poids : 400g frais. Il aura fallu entre 1,6 et 2L de lait.
- Jour 4 : les bûches ont un peu séchées et les moisissures commencent à se former sur les bords du fromage qui reste très frais et fragile. On le retourne et on le pose sur une grille.
- Jour 5 : on emmène les fromages au séchoir où la température va être plus basse. Ils vont perdre en humidité au fil des jours. Une fois la texture correcte, ils sont placés en cave d’affinage où ils vont vieillir et s’affiner.
Fabrication des tommes Bio.
Pour les tommes, (fromage à pâte pressée), Claire lance la production avec deux jours de lait. Celui du premier jour est donc conservé 24h dans un tank réfrigéré.
La transformation de la tomme se fait avec du lait à 33°c. On ajoute des ferments lactiques (lactosérum), des ferments pour fabriquer les yaourts pour la texture de la tomme. Au bout d’1 heure, on ajoute de la présure. Une heure après, le lait est caillé. Il est temps de « décailler » le fromage en le coupant puis
en le remuant 30 min. Cela permet de faire ressortir le lactosérum et de récupérer le fromage frais. Ce mélange est ensuite égoutté grossièrement avant d’être mis dans un moule percé, ce qui permet au lactosérum de sortir. Il y a toute une technique à réaliser pour que le fromage final soit joli :
- Première étape : faire le fond. On met un peu de lait caillé dans le moule, on l’écrase avec les doigts pour que le fond soit bien plat, puis on le presse avec un moule légèrement plus petit pour parfaire le tout.
- Deuxième étage : compléter. On ajoute du caillé jusqu’à un poids de 2.5kg. Cela représente 20L de lait initial. On pique avec les doigts pour que le nouveau caillé se mette avec l’ancien, sinon on aurait deux couches. On vient tasser sur les côtés pour avoir de jolis bords et ensuite on tasse par dessus pour l’aplatir. Le temps de réaliser tous les fromages, on dépose les moules les uns sur les autres, ce qui permet aux fromages de se tasser un peu plus et au caillé de sortir.
- Troisième étape : retournement.
 Après quelques minutes, on démoule le fromage, on le retourne et on le remet dans le moule. Cela permet d’avoir le dessus bien lisse.
Le processus, et surtout le temps d’affinage, varie ensuite entre les bûches/cabris et les tommes.
Pour les premiers, chaque jour demande une action :
- Jour 1 : la mise en moule.
- Jour 2 : on démoule, en prenant soin de ne pas casser le fromage. Mis à nu, il est plus vulnérables aux bactéries. Pour les protéger, on roule les bûches dans un mélange de sel et de cendre alimentaire (ici du pin des Landes) avant de les poser sur une feuille plastique lavable micro-perforé. Il passera sagement la nuit dans la salle de transformation. C’est à cette étape qu’est contrôlé le poids : 400g frais. Il aura fallu entre 1,6 et 2L de lait.
- Jour 3 : les bûches ont un peu séchées et les moisissures commencent à se former sur les bords du fromage qui reste très frais et fragile. On le retourne et on le pose sur une grille.
- Jour 4 : on emmène les fromages au séchoir où la température va être plus basse. Ils vont perdre en humidité au fil des jours. Une fois la texture correcte, ils sont placés en cave d’affinage où ils vont vieillir et s’affiner.

Avant la vente, ils sont emballés pour bloquer l’affinage et éviter qu’ils ne sèchent avec la ventilation des frigos des boutiques.
Dans la région, le fromage est apprécié à 15 jours (demi sec). Mais il peut tout à fait être dégusté à 6 mois si on le préfère sec.
Quant à la tomme, elle reste un mois et demi en affinage.
Fun fack : la petite paille ! La Ferme du Cabri au Lait est située dans la région de Sainte Maure de Tourraine, connue pour sa bûche de chèvre AOP et le petit brin de paille en son centre. Elle sert à maintenir le fromage lors des manipulations, mais son rôle est également esthétique. Elle fait surtout partie du cahier des charges pour obtenir l’appellation d’origine contrôlée. Ce label est moins restrictif au niveau de l’alimentation des bêtes et autorise les élevages exclusivement en intérieur. C’est pourquoi Claire et Sébastien ont fait le choix de ne pas l’avoir et de se concentrer sur les labels Bio et Nature & Progrès, plus exigeants.
Avant de passer au jardin, terminons par quelques informations sanitaires. Comme tous les ateliers de transformation du lait, celui de Claire et Sébastien est régulièrement contrôlé pour la Salmonelle et la Listeria :
- Analyse de lait tous les 15j.
- Analyse des surfaces 4 fois par an.
- Analyse du fromage 4 fois par an.
Les plantes
Enfin, puisque le travail manque sur la ferme, Claire a un joli champ de plantes à parfums, aromatiques et médicinales. Je vais m’attarder sur la rose que nous proposons en infusion à la boutique.
La variété cultivée est la Rosa gallica offinalis, mère de toutes les roses. Ils ont trois belles rangées de rosiers, en extérieur, qu’ils n’arrosent pas comme le veut le cahier des charges Nature & Progrès. De la matière organique animale, et maintenant végétale, est déposée une fois par an pour bonifier le sol. La cueillette se fait une fois par an, en mai. Tous les matins, Claire récolte les pétales, qui représenteront un poids total de 400Kg. Il restera 20% de ce poids une fois séchées.
Cette étape se fait grâce à un séchoir électro-solaire en bois non traité, à 38°C, pendant 2 à 3 jours maximum.
Les pétales de roses sont ensuite stockées dans de grands sacs en papier, et cela jusqu’à deux ans tout en conservant toutes leurs saveurs et bienfaits.
Mais Claire ne s’arrête pas là, elle transforme les plantes en délicieux sirops et confits.
En conclusion
Je garde un merveilleux souvenir de ces deux jours chez Sébastien et Claire dont l’accueil a été formidable. Je me suis sentie comme en famille, et nous avons pu participer pleinement à la vie de la ferme. Cette immersion m’a confortée dans l’idée que les métiers agricoles sont tout autant essentiels que durs et méconnus. Pour autant, ils apportent aussi leurs lots de bonheur et de belles rencontres.
Sachons être reconnaissants des gens qui nous nourrissent et comprendre que le prix d’un produit fait toujours référence à une réalité.
Je vous laisse avec les deux ânes de la ferme !

 
								












