Au Local
Mardi, après un chouette week-end à profiter de la région et des amis, je reprends la route direction Angers, avec trois étapes : deux épiceries et du sel !
Je ne pouvais pas passer dans le coin sans passer voir le duo de choc : Delphine et Pauline. Je les ais rencontrées en 2021, alors que nous faisions notre premier voyage à vélo avec mes enfants. De Carhaix à Etel, la voix vélo nous avait d’abord mené au Local, à Rosporden (29). Depuis, nous nous retrouvons une fois par an au Salon du Vrac et échangeons virtuellement lors des rencontres commerçants organisées par l’association.
10h05, je passe la porte… pas de Delphine. Petite déception, j’aurai dû prévenir. Sa salariée me demande si je veux de l’aide, je demande si Delphine est là. On échange un peu, Delphine ne doit pas tarder mais elle l’appelle pour lui faire une blague et lui mettre un petit coup de pression : « Delphine, ton rdv est arrivé ». Comme on a tendance à travailler à proximité de là où on habite, elle débarque 15 minutes plus tard. Quel plaisir de se revoir ! On discute longtemps, de fournisseurs et de produits, sans surprise. Je suis vraiment ébahie devant son rayon cosmétique qui est au moins trois fois plus grand que le mien. Elle a plus de place, mais elle condense aussi d’avantage. J’y découvre les produits Sisi La Paillette dont j’ai largement entendu parler… une idée pour la boutique ?
Après une petite photo souvenir, je repars direction Ty Vrac à une demie heure de là.

Ty Vrac
Pauline est installée à Trégunc (29). Nos épiceries sont liées par nos clients, dont un que je loupe d’une heure. Cela nous rapproche sans conteste. Son dynamisme et son côté extravertie en font une figure connue de Réseau Vrac, dont elle a intégré le bureau en septembre dernier.
Je passe la porte de sa petite épicerie Ty Vrac et la voit assise devant son ordi au fond de la boutique. Je m’approche, frappe trois coups pour m’annoncer et attend qu’elle relève la tête. La surprise laisse la place à la joie.
Je fais vraiment la mauvaise élève en arrivant à quelques minutes de la fermeture, et le temps de parler un peu, son salarié a tout rangé pour la pause déjeuner. Nous en profitons pour manger ensemble à la délicieuse crêperie La Timbale et nous découvrir d’avantage. Je découvre que nous avons beaucoup de points communs et des parcours de vie qui se rapprochent, c’est marrant.
Ce n’est pas tout, mais il faut que je file… je suis déjà en retard pour mon prochain rendez-vous.

L’Héritier
J’arrive en milieu d’après-midi à Guérande (44), chez Geoffrey. 4 ans que je viens chercher du sel chez lui, je commence à connaître la route.
En 2020, il avait pris le temps de nous faire découvrir une de ses salines et son métier. L’océan serpente entre les marais pour les irriguer au fil des marrées. Le soleil vient ensuite faire son travail en permettant l’évaporation de l’eau. A la surface, des plaques fines se forment : la fleur de sel. Ensuite, on récolte le gros sel au fond de l’œillet. Pour avoir du sel fin, on broie le gros sel.
Cette année, entre les horaires de la marée et celle des activités des enfants, la pause est courte. Le temps de récupérer le sel dans les seaux que j’avais apporté, d’échanger trois mots sur la saison qui s’annonce mauvaise vu la pluie des derniers mois et je reprends la route pour Angers où je suis attendue demain matin.

Apimani
Mercredi, 10h00. J’arrive dans la petite ville du Plessis Grammoire (49), à nouveau dans la zone industrielle où une dizaine d’entreprises sont installées. Apimani est affiché tellement en grand sur le bâtiment que je suis d’abord passée à côté sans le voir.
C’est Axelle qui m’accueille, avec la fraîcheur de sa jeunesse, suivi d’Alexis, puis Thomas, co-fondateurs de la marque. Nous commençons par discuter des dernières évolutions de la marque, notamment des brosses à dents en plastique recyclé et tête rechargeable qu’ils vont bientôt proposer en supermarché. C’est un choix qui pose question : jusqu’à quand et avec qui peut-on se développer sans perdre ses valeurs et ses premiers clients ? Après quelques minutes, je comprends les choix réalisés. D’un côté, c’est l’associé d’un Super U proche de chez eux qui est venu les chercher, souhaitant proposer des brosses à dents locales et durables. D’un autre côté, la ligne dans laquelle ils ont récemment investi ne tourne pas à son plein potentiel. Alors, pourquoi pas ? Après plus d’un an de travail, ils développent une gamme dédiée pour U, et proposent aux épiceries indépendantes un co-produit antigaspi à prix abordable. Un compromis parfait ! Et puis, je ne peux pas être réellement opposé à ce que le « grand public » accède aussi à ce type de produits : il faut démocratiser le Zéro Déchet !
Sur ces bonnes paroles, nous passons à l’atelier de fabrication. Il est immense et semble un peu vide, mais l’espace permet de circuler facilement et peut-être qu’un jour, y aura-t-il de nouvelles lignes ? Pour l’instant, il n’y en a qu’une que Anthony prends le temps de me montrer. Alors qu’Alexis est un peu déçu que je ne puisse pas la voir tourner, je prends conscience au fur et à mesure des explications que c’est une vraie chance au contraire. Je peux ainsi voir tout le mécanisme en détail, c’est impressionnant.
Il faut savoir que la ligne est très adaptable : elle permet de fabriquer les brosses à dents en bois conventionnelles, les Malines en bois à tête rechargeable, bientôt les brosses à dents en plastique recyclés, et les têtes.
Les manches en bois sont réceptionnés « bruts », c’est à dire avec la tête mais sans trous dedans pour insérer les poils. Depuis le passage des Maline en tête en plastique recyclé, celle en bois est coupée. Même s’il est réutilisé, l’objectif à terme est de recevoir les manches sans la tête pour éviter ce déchet.
Le manche est fixé par une pince qui l’emmène pour un petit voyage. D’abord, les trous sont percés dans la tête. Ensuite les poils y sont insérés, c’est l’empoilage. Et là, c’est magique ! En effet, il y a également tout un travail de préparation des poils avant cette étape.
Les poils, qui sont en fait des fils de Nylon, arrivent extrêmement serrés, sous forment de cylindres de 4 cm de diamètre environ et de 5 cm de hauteur. Ils sont libérés afin de pouvoir être séparés puis regroupés en petits tas d’une dizaine de fils. Ils seront ensuite pliés par le centre, permettant avec un fil d’en avoir deux, puis collés au fond du trou précédemment formé.
Tous les fils sont en place sur la tête, mais le travail est loin d’être terminé. Ils ont besoin d’une petite coupe pour égaliser les pointes, puis un léger ponçage pour prendre soin de vos gencives. Un travail de minutie incroyable.
Pour fabriquer les têtes, c’est le même principe, mais sans le manche !
Chez Couleur Vrac, les brosses à dents La Maline sont toutes personnalisées avec une petite phrase : C’est la mienne, 3 min de plaisir, souris à la vie… Et sous mes yeux, la nouvelle gravure apparaît : « Beautiful life ». C’est une petite attention, mais penser à réaliser cette étape quand je suis là me fait vraiment plaisir.
Après la ligne de fabrication, nous poursuivons la visite par le labo de Recherche et Développement. Et ce ne sont pas les projets qui manquent : partenariats locaux, indépendance de fabrication, valorisation des déchets de production et des produits en fin de vie, etc.. Il y a une vraie dynamique positive et enthousiasmante !
A gauche de l’atelier sont entreposés les produits finis. Je découvre de visu et en une rangée tous les produits Apimani. Depuis leurs débuts avec les brosses à dents, la gamme s’est largement étoffée autour des routines Zéro Déchet : supports pour brosse à dents et savons, boites à savon pour les voyages, peignes et brosses à cheveux en bois, dentifrice…
On peut facilement se rendre compte du travail de sourcing réalisé avec ces quelques chiffres :
- A la création en 2017, 100% des produits venaient de Chine.
- 3 ans plus tard, en 2020 : l’origine Chine était descendue à 13%, laissant la place à une fabrication européenne à 33% et française à plus de 50%.
- L’année d’après, plus aucun produit ne venait de Chine.
- Aujourd’hui, 92% des produits sont fabriqués en France, directement dans leurs ateliers ou avec des partenaires de confiance.
- L’objectif à court terme est de passer à 100% !
Un parti pris fort quand on sait que seulement 8% des brosses à dents vendues en France sont fabriquées sur notre territoire, par 2 fournisseurs : Bioseptyl et Apimani !
Enfin, nous montons vers les bureaux. A droite, un vaste open space et à gauche une belle salle de réunion, les deux donnant sur l’atelier de fabrication. Une belle vue pour apercevoir l’avenir de l’entreprise !
J’y resterai bien pour concrétiser quelques projets avec eux, mais ma dernière étape de cette belle tournée des fournisseurs m’attends.

Bocalie
Avant de repartir d’Angers (49), sur les conseils d’Alexis et Axelle, je file faire un tour chez Bocalie. Au départ, j’envisageais de passer chez P’tits Pois Carottes mais Adélaïde et Pierre sont en vacances et je suis arrivée trop tard hier pour passer à leur boutique.
Et puis Bocalie est à 10 min de route d’Apimani et il est déjà midi bien entamé.
Je découvre donc cette belle boutique, répartie en trois espaces dédiés. En passant la porte, on tombe directement sur les fruits et légumes et le vrac alimentaire. Ses silos ronds me rappellent ceux que j’avais à l’ouverture de la boutique. Même si ce n’est pas tout à fait le même système, ils sont magnifiques et donnent un joli caché. Je passe rapidement la deuxième pièce dédié à la détergence pour arriver dans la troisième avec la cosmétique. Et là, je découvre également un espace dédié aux fripes !! De beaux vêtements d’occasion sont proposés à la vente : j’adore l’idée !
Une fois arrivée en caisse, j’explique à la gérante, Manon, que je sors de chez Apimani et que je viens sur leurs conseils. La discussion est ouverte ! Comme nos vacances respectives approchent, nous échangeons sur la gestion de la fermeture estivale. Elle gère la boutique avec son compagnon et n’a pas de salariés. Impossible dans ces conditions de rester ouvert. De mon côté, j’ai la chance de pouvoir compter sur Calista et Mélissa pour vous accueillir. Être seul ou en couple sont deux modes de gestions différents, avec comme toujours, des aspects positifs et négatifs. Il faut trouver le bon équilibre.
La gentillesse et la sérénité de Manon m’ont touché et je repars avec une nouvelle belle rencontre dans le cœur.

La Ferme Bio du Point du Jour
Dernière étape de mon programme, je m’arrête voir François à la Ferme Bio du Point du Jour à Jarzé (49). Je suis arrivée alors que toute la famille était embauchée pour le grand ménage avant la fermeture estivale. J’ai sous les yeux un magnifique exemple d’entreprise familiale !
Nous commençons la visite sur le parking, en regardant le champ de blé fraîchement coupé. Vous ne serez pas passé à côté, l’année a été très pluvieuse. Les conséquences sont nombreuses : François ayant fait le choix des semences anciennes, dont les tiges sont plus hautes, les blés se sont rapidement couchés. En plus d’une légère perte que cela peut engendrer, il a fallu passer deux fois avec le tracteur : une fois pour les blés au sol et une fois pour les blés debout.
Aux contraintes de récoltes s’ajoutent le choix de mutualiser le matériel qui apporte quelques contraintes organisationnelles. Mais c’est un choix vertueux qui allie solidarité entre agriculteurs, mutualisation des investissements et réductions des tracteurs construits et donc des ressources utilisées.
Aux grains de blés récoltés se mélangent de la luzerne, de l’avoine, de la poussière et quelques insectes. Il faut alors les passer dans la trieuse, et cela rapidement pour que l’humidité ne gagne pas de terrain. En effet, les grains de luzerne encore verts pourraient par exemple humidifier les quelques centimètres qui l’entoure et abîmer le blé.
La récolte passe donc dans plusieurs trieuses successives pour obtenir un grain pur :
- Premier passage dans une trieuse colorimétrique qui élimine les grains non dorés (vert, noir…) et aspire en même temps les insectes.
- Deuxième passage dans une trieuse filtrant en fonction de la forme et de la taille du grain : exit l’avoine par exemple.
- Enfin, une trieuse vibrante permet de supprimer les petits cailloux.
Le blé est ensuite conduit dans les silos à grains via des tapis roulants et un ascenseur à godets. Il est plus fréquent de voir des vis sans fin pour transporter les grains, mais celles-ci le casse. Une surface lisse qui capte plus facilement l’humidité apparaît alors, ce qui peut abîmer la qualité du grain à moyen terme.
Les silos, de plusieurs mètres de diamètres et hauteur, sont équipés d’un fond conique en métal, rarement ajouté par les autres céréaliers. Cela a trois avantages :
- Permettre de ventiler par le bas de façon homogène
- Éviter le contact direct avec le sol en béton qui capte l’humidité et la transfère au grain.
- Aspirer facilement les grains via un tuyau placé au centre.
Une fois toutes les étapes de tri et de ventilation effectuées, le blé peut être stocker en toute confiance en attendant son utilisation.
Première étape de sa transformation : la mouture.
Pour cela, les grains de blé passent dans un moulin dont les meules sont en pierre pour que la farine ne s’oxyde pas, et la structure est en bois. Un réel chef d’oeuvre fabriqué juste à côté par un artisan. La farine est ensuite stocké en sachet kraft de 10Kg, sachet qui sera réutilisé une quarantaine de fois environ.
Deuxième étape : la fabrication des pâtes.
La farine est mélangée à l’eau pour former le pétrin qui sera extrudé : il est poussé dans un tuyau et sort par de plus petites filières via un moule en bronze, matériau qui permet une meilleure accroche de la sauce. Un couteau vient alors couper la pâte qui tombe dans des trémies, c’est à dire des plaques micro-perforées qui passent ensuite dans un tunnel pour être pré-séchées.
Les trémies sont ensuite mises sur des chariots et emmenées au séchoir. Le temps de séchage, la température, le taux d’humidité va varier en fonction de la forme des pâtes. Les lasagnes par exemple y resteront 16 heures. Dans tous les cas, le séchage est lent et à basse température pour garder le goût et les propriétés nutritives de la farine.
Dernière étape avant le stockage : le conditionnement.
Il se fait de façon manuel, soit en sachet de 5 ou 10kg pour les macaronis, les conchiglie, les gratinettes ou les vermicelles, soit en carton pour les lasagnes, tagliatelles et spaghettis. Évidemment, l’aptitude au contact alimentaire est certifié.
François vient une fois par mois environ en région parisienne livrer les épiceries vrac. Pour cela, il a investi l’an dernier dans un camion répondant à la réglementation ZFE de Paris. Il travaille également avec les épiceries vrac locales, les Biocoop et les collèges d’Angers qui se sont appropriés la loi AGEC.
En parallèle de cette activité, quelques vaches limousines sont élevées. Mises au champ en été, elles sont nourris avec les fourrages de la ferme en hiver et vendues sur place en vente directe.
Enfin, François me parle du dernier investissement réalisé : des panneaux solaires, mis sur le toit, afin d’acquérir une autonomie énergétique.
C’était un plaisir de m’arrêter visiter la Ferme Bio du Point du Jour. François est quelqu’un de simple et accessible qui aime son métier. Il est rare et agréable de voir un fournisseur maîtriser toute la chaîne, du champ à l’assiette. Je me suis rendu compte au fil de la visite que tout est réfléchi pour produire des pâtes de qualité et durable : le choix des semences, les investissements au niveau des outils de tris, de stockage et de fabrication, le solaire…
J’ai hésité à proposer mon aide pour nettoyer, en contrepartie du temps accordé. Mais j’avoue que l’ampleur de la tâche et la route qui m’attend pour rentrer m’ont un peu refroidi.

Je prends à présent un peu de recul sur ces quelques jours passés sur la route et dans les ateliers de mes fournisseurs. Appeler cette tournée « bretonne » est un peu mensonger puisque seulement la moitié des entreprises sont basées dans cette belle région. Mais la route parcourue m’a bel et bien emmenée jusqu’à la pointe ouest, reliant chacun par le fil conducteur du vrac, du bio et de l’éthique.
Avant de partir, j’avais un peu peur que mon programme soit trop chargé. Et en effet, je suis revenue exténuée. Mais les rencontres ont été tellement riches et passionnantes que je suis heureuse de cette expérience. J’espère que mon long récit vous a plu et que vous êtes vous aussi un peu plus convaincu que nous portons de belles valeurs !